La rue vue par la rue


Quand des SDF twittent leur quotidien

jeudi 21 novembre 2013

Tweets 2 Rue : le bilan de Patrick un mois après

« Au début  je prenais ça à la rigolade. J’ai été surpris de l’ampleur que ça a pris. J’ai un peu mal vécu l’exposition médiatique parce que je craignais que ça n’affecte ma famille. Je ne voulais pas que mes gosses soient emmerdés à cause de moi. Et puis j’avais peur que les médias reprennent mon histoire à leur sauce.

J’ai plus de 1 800 personnes qui me suivent, je ne m’attendais pas à tant de monde. Je n’ai pas besoin d’autant, ça me fait presque peur. J’ai fait 22 ou 23 ans de route (en tant que routier, ndlr) la solitude j’ai vécu avec. Elle et moi on est copain. Qu’il y ait tant de gens inquiets ou attentionnés à mon égard c’est nouveau pour moi ! Cela dit je gère ça avec philosophie. Je sais très bien qu’un jour ou l’autre ça va finir. Même s’il y a des personnes avec qui j’aimerais vraiment rester en contact.

Il y a un dizaine de personnes avec qui je twitte régulièrement, avec qui il y a des choses concrètes qui se passent. Il y a une personne qui a envoyé un chèque de 40 euros à la Boutique Solidarité pour m’y payer des repas (3 euros le repas, ndlr). Zebulonlon m’a fait un examen des yeux et commandé de nouvelles lunettes. Une autre personne s’est chargée de l’orientation scolaire de mon fils… ça fait vraiment chaud au cœur et c’est ça jusque-là qui m’a le plus marqué. Là tu vois ce que le mot solidarité veut dire.

Je compte d’ailleurs aller rendre visite à 2, 3 personnes avec qui je suis en lien, pour voir à qui j’ai à faire. Mettre une image sur le son et les tweets. Parce que j’aime bien voir les personnes en face. T’en apprends plus en 30 secondes qu’à l’écrit ou au téléphone.

On m’a dit « héros », mais moi je ne me sens un héros. Un héros ça n’est pas un gars dehors. Après c’est chacun sa façon de voir. Les héros et héroïnes se sont plutôt ceux et celles qui me sont venu en aide. Tendre la main à l’autre est un geste qui ne veut rien dire aux yeux de certains pour moi ça compte beaucoup.

Je préfère le terme de VHQ (Vagabond Hautement Qualifié) à SDF que je trouve moins noble. On parle bien de technicienne de surface pour une femme de ménage ! SDF pour moi c’est moche. Je tiens à signaler quand même que le terme VHQ n’est pas de moi mais d’Eric un gars à la rue avec qui je discute.

J’espère que mes tweets vont contribuer à ouvrir les yeux de certaines personnes et à changer les mentalités. Il y en a qui ne devraient pas parler pour ne rien dire et essayer ne serait-ce qu’une journée d’être à la rue. De laisser la carte bleue à la maison, de changer de localité… Elles se rendront compte des choses et à partir de là participeraient à trouver des solutions. Elles pourraient ensuite ne serait-ce qu’aller vers une personne comme moi pour lui dire « bonjour ». Bon après je reconnais qu’il y a des gars à la rue qui ne font rien pour améliorer l’image qu’on peut avoir d’eux…

Je refuse toutefois l’étiquette de porte-parole qu’on veut me coller. Ma pensée, mes tweets, mes photos n’engagent que moi. Je ne veux pas que ça soit les autres qui morflent si j’ai une pensée négative envers quelqu’un.

Maintenant j’ai compris la force du réseau. Mais pas pour moi personnellement, pour les autres. Je ne pense pas à ma gueule. C’est par rapport à Ryan (@usher226, ndlr) que l’idée m’est venue de faire un appel sur Twitter pour des couvertures. J’ai froid, je me les pèle mais j’ai l’habitude, pas Ryan.

J’ai eu des réponses d’un peu partout en France. Tout le monde voulait une adresse. Forcément je ne pouvais pas donner la mienne vu que je n’en ai pas. Alors j’ai appelé Cécile (de la Boutique Solidarité de Metz, ndlr) pour en parler avec elle. Parce que la Boutique est associée au projet et j’y suis tous les matins… J’espère juste que les personnes vont joindre le geste à la parole.

On m’a posé la question la dernière fois sur pourquoi je ne me sers pas de Tweets 2 Rue pour trouver un job ou un appartement. La réponse est toute simple. Si demain je trouve un appartement, j’arrête le tweet parce que raconter la vie d’un SDF au chaud c’est pas la peine. Je veux que ça reste authentique. Que Ryan le fasse je lui tirerais en revanche mon chapeau. Moi mon engagement c’est raconter mon quotidien. Tu veux la vie à la rue,  je te la donne ! La force de mon témoignage est d’essayer de faire comprendre que ça peut arriver à tout le monde. Que personne n’est à l’abri. Qu’un pétage de câble c’est vite fait.

Pour le travail, je n’y crois pas. Si j’avais 10 à 15 ans de moins ok mais là non. Un jeune de 20 ans n’arrive déjà pas à trouver du boulot c’est pas moi à presque 50 ans qui vais prétendre à un boulot. Cela dit si ça arrive je prend. Je suis allé à la préfecture la dernière fois pour voir par rapport à mon permis de conduire, je dois tout repasser. Je n’ai pas des milles et des cents à mettre aujourd’hui dans un permis.

Twitter c’est une arme positive, mais elle peut aussi faire du mal. J’ai une frangine qui essaie de rentrer en contact avec moi après qu’elle m’ait vu dans les médias, alors que ça fait 3 ans que je suis dehors et qu’ils n’ont jamais chercher à prendre de mes nouvelles. Pour moi c’est faux cul et compagnie… En revanche il y a une cousine de Lyon qui a repris contact avec moi et ça m’a fait plaisir.

Je pense qu’il est trop tôt pour vous dire ce que m’a apporté exactement Tweets 2 Rue. Je vous répondrai dans 2, 3 mois. La confiance en soi ? Si je suis à la rue c’est justement parce que je l’ai perdue. C’est pas en zonant tous les jours dans Metz que tu peux reprendre confiance. C’est sûr que les encouragements sur le Tweet ça donne un peu de tonus et de peps mais la confiance tu la récupères quand tu te fixes un but que tu arrives à atteindre.

Personnellement je n’ai pas l’impression d’avoir aidé quelqu’un ou d’avoir fait grand chose. Si les gens envoient comme promis quelques couvertures je pourrais dire que j’ai donné un coup de  main à quelques personnes. Quand je mets tout le monde en garde par rapport à la fragilité de leur situation, ça peut aussi aider.

Je ne me suis jamais réellement occupé de moi. Les autres d’abord et moi après. Quand je fais un truc c’est jamais personnel. Pourquoi ? Je n’en sais rien. (A la question : « Est-ce que Patrick ne mérite pas toute ton attention ? », ce dernier répondra par une pirouette : « Je ne sais pas il faudrait lui poser la question », ndlr). On me dit parfois « Occupe toi un peu de toi ». Ou ben quand il aura 5 mn que je leur réponds. Que voulez-vous je me suis forgé comme ça. »


0 commentaires:

Enregistrer un commentaire